Le fanzine d’intervention

Atelier Acazine #4
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Communications de Nicolas SIDOROFF et Louis STARITZKY, le 7 juin 2021 en visio-conférence, dans le cadre du séminaire « ACAZINE, le fanzine nouvel outil de recherche académique » (Campus Condorcet), animé par Samuel Étienne, École Pratique des Hautes Études, Paris ; Gérôme Guibert, Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3 ; Ariane Meyer, Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3 ; Pascal Nicolas-Le Strat, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis.


Nicolas Sidoroff à 15’20 » et Louis Staritzky à 31’10 »

Nicolas Sidoroff rappelle ses expériences de musicien, son goût pour le DIY et ses engagements dans les luttes sociales dans lesquels s’inscrit son rapport passionné au fanzine. Devenu étudiant en sciences de l’éducation à l’Université Paris 8, à partir de l’année 2015 il se lance dans l’aventure du Collectif-en-devenir avec le désir de faire collectif dans les recherches universitaires, de mieux bricoler et expérimenter en le faisant ensemble et de se serrer les coudes, avec l’idée aussi de travailler l’institution de l’endroit où ils et elles se trouvaient, en tant qu’étudiant·e. Le Collectif-en-devenir naît dans l’environnement du laboratoire Experice. Nicolas Sidoroff évoque l’une de ses figures historiques, Georges Lapassade. Et c’est en clin d’œil pour lui que la fanzine du Collectif-en-devenir (désignée au féminin) se nommera Lapalissade. Le premier numéro voit le jour dans la foulée du mouvement social de 2016 contre la loi travail. Pendant un semestre de forte mobilisation à l’Université Paris 8, le Collectif-en-devenir soutient le principe d’une « validation universelle », qui rencontrera peu ou pas d’écho au sein du laboratoire Experice. Le collectif pointe alors une contradiction entre les idées portées par le laboratoire et ses actes, et se lance dans la rédaction d’un article pour documenter et argumenter cette revendication. Pour accueillir cet article et en renforcer la diffusion, c’est naturellement que l’idée d’un fanzine est lancée. Le premier numéro de la fanzine Lapalissade sort en novembre 2016, rejoint très vite, en décembre, par un deuxième numéro portant sur les questions d’auto-organisation. Nicolas Sidoroff évoque l’expérience spécifique de la sortie du numéro 6 ; il est publié à New York dans le cadre d’un colloque où le Collectif-en-devenir était invité. Sorti à l’arrache, dans un bar, au soir du premier jour, le fanzine va mobiliser un analyseur classique de l’analyse institutionnelle, l’analyseur argent, en notant que les 18 étudiant·es ayant participé à l’atelier la veille dépensaient 530 dollars par nuit d’hébergement alors que les 9 enseignant·es et membres de l’administration de Paris 8 y consacraient 1773 dollars. Le fanzine permet d’ouvrir des questions qui ne le sont pas habituellement. C’est un bon outil d’interpellation et de mise en discussion. Nicolas Sidoroff souligne qu’intervenir c’est venir entre, agir entre, et que la première intervention que permet le fanzine se noue entre les personnes impliquées dans sa fabrication. Entre, c’est aussi l’existence d’interstices où il est possible d’éditer et de diffuser en auto-publication, avec souvent des possibilités d’impression « à la perruque ». Par ailleurs, le fanzine fait trace, laisse trace et, possiblement, permet d’intervenir dans la durée sur les actions et débats d’une institution.

Dans sa contribution, Louis Staritzky reparcourt l’expérience du fanzine En Rue. Cette publication est lancée à l’occasion d’une recherche-action menée par / avec le collectif du même nom, dans les quartiers Jean Bart / Guynemer (Saint-Pol-sur-Mer, agglomération de Dunkerque). Le collectif En Rue installait des « chantiers pirate » au sein du quartier afin de rééquiper, en co- et auto-fabrication, les espaces publics laissés à l’abandon par le bâilleur social et la Collectivité locale.

Louis Staritzky souligne que, le plus souvent, la co-production de la recherche, pourtant inhérente à une démarche de recherche-action, s’arrête au seuil de l’écriture, les spécialistes reprenant alors la main, s’attelant seul.es à l’écriture pour livrer, finalement, un rendu « classique » sous la forme d’un rapport. Le fanzine est d’une conception suffisamment hybride pour accueillir différents types d’écriture (recherche, témoignage, dialogue, fiction, écrits du quotidien, récit…) et s’ouvrir largement au dessin, à la photo, à la bande-dessinée, à la cartographie… Dans l’expérience d’En Rue, le fanzine est vite approprié par les autres acteurs et actrices et commence à être fabriqué en coopération. La production du fanzine devient alors un chantier à part entière, conduit à l’intérieur des chantiers de rééquipement des espaces du quartier en bancs, tables, jeux…, dans le même mouvement et avec la même temporalité. À la fin du chantier, le fanzine est diffusé. La co-création du fanzine a contribué aussi à « libérer » l’écriture, et le fanzine a accueilli des textes d’habitant.es du quartier, mais aussi leurs dessins, photos… Le fanzine cultive une « écologie de l’attention » pour les nombreuses écritures, y compris de recherche, présentes dans un quartier. Sa fabrication et sa diffusion auront été aussi le moyen pour affirmer plusieurs droits politiques, le droit pour les habitant·es à mener l’enquête à propos de questions qui leur importent, leur droit à prendre la parole, à faire récit de leur vie, à faire recherche… Le fanzine a été une manière de rappeler qu’un quartier se fabrique aussi avec des mots, et en premier lieu avec les mots des personnes concernées.

https://fabriquesdesociologie.net/EnRue/

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